Primo : demain soir sur TF1 Poivre d'Arvor reçoit Sarko et, à l'occasion, des questions peuvent être posées par mail. Aussi, si certains d'entre vous avaient la gentillesse de copier-coller le texte ci-dessous, de signer et d'envoyer l'ensemble du truc à :
facealaune@tf1.fr?subject=question_pour_Nicolas_Sarkozy,
ce serait gentil (désolée, je n'ai pas en tête les balises pour vous envoyer directement sur l'adresse).
Le Cabinet des poinçons et l'Atelier du livre de l'Imprimerie nationale vont, dès le printemps prochain, être détruits ou mis en caisses qui seront dispersées vers des destinations inconnues.
Allez-vous laisser pourrir cette situation et enterrer ce patrimoine de l'humanité ?
Vous en étiez le ministre de tutelle ; allez-vous laisser des instructions pour que le dossier soit traité d'urgence et qu'un futur organisme public compétent, doté des moyens adéquats, soit créé pour devenir un centre, unique au monde, contribuant au développement de la typographie et de l'écrit ?
D'autre part, je retranscris ici un post reprenant un extrait d'un article de l'Huma, post tiré d'un forum sur la langue française. (Mes excuses à l'administrateur qui a posté le message pour lui avoir piqué ce qu'il a écrit c'est pour la bonne cause.)
J'en profite aussi pour rappeler que les bâtiments (magnifiques) de l'IN sont d'ores et déjà vendus à un investisseur américain. Avec une petite photo de la statue de Gutemberg qui ne dit pas grand chose.
Après l'extrait de l'article de l'Huma, on peut lire un article du Monde paru en mai dernier.
L’avenir plus qu’incertain du patrimoine de l’Imprimerie nationale est un préoccupant indice de ce que nos élites sont capables (ou incapables) de faire et de penser pour la France.
L’Imprimerie nationale fut fondée sous François Ier, en même temps que le Collège de France. Le pays de Rabelais, de Cujas et de Jacques Amyot organisait sa langue, en liaison avec le droit, avec la littérature, avec les langues anciennes. À cette entreprise qui fit l’admiration de l’Europe, l’Imprimerie royale, puis nationale, apporta la splendeur de la typographie, du papier, de la reliure, de tous ces savoir-faire artisanaux qu’elle constituait ou accueillait. Elle ne se borna d’ailleurs pas au français ; elle dessina et fondit des caractères pour l’arabe, pour les langues orientales, pour les mathématiques, la physique ou l’astronomie ; elle reconstitua des écritures disparues.
L’Imprimerie nationale a magnifié notre langue, mais aussi notre idéal de savoir, d’éducation, de beauté. Elle est pour lui ce qu’une cathédrale est à la foi religieuse, ce que le musée du Louvre est à la peinture.
Il faut que ces collections uniques de poinçons typographiques, de machines anciennes, de chefs-d’oeuvre bibliophiliques, qui vont être déménagées vers des lieux inconnus, avec tous les risques de perte, de vol, de détérioration ou d’oubli que cela comporte, trouvent demain un lieu d’accueil digne d’elles. Il faut également que les métiers soient transmis. Les nouvelles technologies ne seront pleinement fécondes que dans le dialogue avec leur passé.
On guette ici la néolangue à travers les inventions des médias et de la pub, les parlers inédits, les contacts imprévus entre les langues. On s’efforce de discerner, on refuse aussi bien la déploration systématique que l’approbation béate de tout ce qui est nouveau. Encore n’est-ce possible qu’appuyé sur le socle d’une langue héritée et construite, consciente d’elle-même. Le trésor de l’Imprimerie nationale est un des points d’appui de cet héritage. Le perdre de vue, c’est couper une racine de l’arbre, c’est faire un pas de plus vers l’ignorance, vers l’oubli, vers la soupe linguistique mondialisée. L’Imprimerie nationale, C’EST la langue française.
À ce titre, nos dirigeants politiques ont le devoir veiller à sa préservation. Ils n’ont pas le choix. Ils en sont comptables. Ou alors, qu’ils aillent jusqu’au bout de leur démarche. Après tout, on pourrait revendre à Eurodisney le château de Chambord et le mont Saint-Michel. Ça ferait des petites économies.
Le Monde, 1er juin 2004
Il faut sauver l'Imprimerie nationale, par André Guillerme.
André Guillerme est professeur au Conservatoire national des arts et métiers (chaire d'histoire des techniques).
Ces trésors sont propriété de la culture, de la connaissance. Ils ne peuvent échapper au bien commun de l'humanité. C'est donc à l'Unesco d'agir.
Le temps presse : un trésor de l'humanité va disparaître : l'Imprimerie nationale.
L'Imprimerie nationale de France (IN), installée depuis 1922 rue de la Convention, à Paris (15e), doit fermer ses portes au second semestre 2005, bâtiments et terrain attenant vendus à un promoteur pour être rasés et rebâtis d'immeubles très rentables. Une architecture industrielle sobre et fonctionnelle dressée avant la Grande Guerre, composée de briques mécaniques à peine décorées, de charpentes métalliques et de verrières sans prétention : on sent d'emblée que les constructions initiales ont été dessinées simplement pour mieux mettre en valeur les fabuleux trésors qu'elles couvraient et qu'on devine depuis la monumentale grille républicaine.
Dehors, on peut toujours imaginer : ils sont toujours là. Prêts pour le vide-grenier que l'Etat, propriétaire, s'apprête à réaliser discrètement d'ici un an. L'IN est une société anonyme à capitaux d'Etat depuis le 31 décembre 1993. Elle dépend plus particulièrement du ministère des finances, qui a d'autres préoccupations d'économie. Seul le réaménagement des activités industrielles du site parisien est définie à ce jour.
L'Imprimerie nationale est un trésor national semi-millénaire, aussi ancien que le château de Chambord et que le Collège de France. Elle est le fait du prince, François Ier, qui, en 1539, nomme Néobar "imprimeur du Roy pour le grec", auquel succède Estienne, imprimeur pour le latin et l'hébreu.
Jouissant d'un privilège régalien, l'Imprimerie devient royale ; en 1640, Richelieu la place au Louvre, à portée de main, pour "multiplier les belles publications utiles à la gloire du Roi, au progrès de la religion et à l'avancement des lettres".
Chaque ouvrage imprimé est précieusement conservé : aujourd'hui ceux-ci constituent un fonds relié de 30 000 livres.
L'Imprimerie déménage dans l'hôtel de Rohan et devient impériale en 1804. Elle s'impose avec la puissance et le rayonnement de l'Etat-nation. Non seulement elle quadruple sa consommation de papier entre 1800 et 1880, mais elle exporte aussi près de 130 tonnes de caractères typographiques neufs en 1845, un demi-millier à la fin du siècle, alors que l'impression s'enchaîne à la mécanique industrielle.
De fait, l'Imprimerie nationale porte en elle la renommée et la souveraineté de l'Etat, qui, on le sait, est de plus en plus amnésique. Elle a imprimé avec une qualité de circonstance les textes rares que les princes et les ministres, conseillés par des académiciens - ceux des inscriptions et belles-lettres - ou des philologues érudits voulaient, comme Les Tapisseries du Roy (1670), Les Médailles sur les principaux événements du règne de Louis le Grand (1670), la Description de l'Egypte (1805) commandée par Napoléon. Sans regarder à la dépense.
Elle a aussi imprimé les textes normatifs que l'Etat voulait diffuser en grand, comme le Code général des impôts, le Bulletin des lois, ou, dans ses subdivisions territoriales comme les dictionnaires topographiques, les annuaires.
Pour maintenir sa haute qualité, cette entreprise publique a toujours recruté son personnel par concours - en France le concours public tire vers le haut.
L'histoire des techniques prise a témoin montre que cette institution n'a jamais cessé d'innover, de promouvoir de nouveaux supports - encres, pâtes, papiers, encollages, plats, reliures -, d'adapter de nouvelles techniques et de nouveaux procédés d'impression - photocomposition, composition programmée, flexographie, offset.
Bref, une institution à la page et qui, pour s'y maintenir, dispose d'un service documentaire de référence pour l'imprimerie et l'histoire du livre. Elle mérite donc le respect dû à son rang : national.
L'Imprimerie nationale est aussi un trésor mondial. Certainement le seul dans son genre. D'abord parce que les Etats disposant d'une imprimerie sont peu nombreux. Ensuite parce que son histoire est liée à celle d'une des toutes premières puissances intellectuelles, à sa genèse, à son épanouissement. L'IN sauvegarde un florilège de 700 000 pièces - dont 500 000 sont classées comme monuments historiques, 300 000 en 1946, 200 0000 en 1994 - meubles, donc déplaçables et séparables. Soit 230 000 poinçons en acier dans plus de 70 polices différentes, dont les plus anciennes datent de la Renaissance et dont les plus prestigieuses - Garamont (1541), Grandjean (1714), Luce (1773), Didot (1811), Marcellin-Legrand (1827), Gauthier (1970) - sont uniques, donc recherchées.
Ajoutons les 14 000 pièces pour la gravure de la musique provenant de la collection Tanturri, les signes typographiques mathématiques, astrologiques, astronomiques. Plus de 150 000 matrices en cuivre dans lesquelles sont coulés les alliages de plomb, d'étain et d'antimoine formant les caractères ; 224 000 idéogrammes gravés sur bois, provenant pour partie (86 000) du premier dictionnaire chinois-français-latin, gravé entre 1723 et 1730 et publié en 1813, et pour partie de caractères japonais du VIe siècle (Kata et Hira-kana) ; plus de 15 000 bois d'affiches et 1 300 bois gravés ; 3 000 cuivres de taille-douce ; 2 500 fers à dorer.
Il faut encore ajouter une cinquantaine de machines adaptées à la typographie et aux autres procédés maîtrisés par l'IN. Les plus anciennes, entretenues avec soin par des imprimeurs conservateurs, sont tricentenaires - la presse à bras d'Anisson est classée. Là, rue de la Convention, est stocké l'alphabet des peuples - les hiéroglyphes découverts par Champollion, les plus anciens caractères grecs, ceux de la calligraphie du Crétois Ange Vergèce, les caractères arabes dans une douzaine de styles différents, les caractères mayas, khmers, persépolitains, runiques, phéniciens, russes, avestiques, araméens, coptes, gothiques... L'Imprimerie nationale mérite donc une révérence universelle.
L'IN est une cité de trésors vivants, au sens où les Japonais emploient cette expression. Le savoir-faire accumulé s'est maintenu intact par circonstance - la commande peut exiger une xylographie, une taille douce, une reliure d'art ou une gravure de poinçon - et par culture. Ses graveurs de poinçons, clavistes, fondeurs de caractères, compositeurs typographes "français" ou "orientalistes", imprimeurs typographes, imprimeurs taille-douciers, lithographes, phototypistes, relieurs, informaticiens, mécaniciens, médiateurs et promoteurs du patrimoine, constituent la mémoire toujours vive et font des chefs-d'œuvre
Car les machines, qui scandent l'histoire des techniques de l'imprimerie, exigent un soin constant - nettoyage, graissage, réglage - qui ne peut être confié qu'à des mains expertes et sensibles, celles de ces instituteurs de l'écrit, trésors vivants, au plus haut de leur culture technique - la majorité des techniciens ont plus de 50 ans - mais au plus bas de leur déprime professionnelle. Les machines risquent d'être mises en réserve, en salle froide, pour ne plus en sortir. Les métiers et leur "coup de main", aujourd'hui rarissimes, réunis dans une entité unique, disparaîtront lors du départ à la retraite de leurs titulaires. Ces trésors vifs méritent donc dignité.
Pour conserver ce patrimoine et l'atelier vivant qui lui est associé (une quinzaine de personnes), le ministère de tutelle, à Bercy, "envisage" la constitution d'un GIP, un groupement d'intérêts professionnels associant la branche industrielle de l'IN, des ministères, des collectivités territoriales, des partenaires privés. Tel Ponce Pilate, les autres ministères concernés, la culture notamment, tout comme la Ville de Paris, renvoient à la tutelle. Pour le tuteur, à l'évidence l'ensemble est divisible, comme un jeu de Lego.
On voit déjà des musées d'envergure - ceux qui disposent de réserves - se préparer à faire leur marché : tel prendrait quelques machines témoins de la seconde révolution industrielle pour compléter ses collections, tel autre se verrait bien confier un gros paquet de cuivres gravés pour faire vitrine dans son cabinet d'estampes, tel autre se saisirait des idéogrammes chinois.
Cette grande braderie satisferait et l'Etat, qui diviserait ainsi son héritage sans conflit, et les responsables de musées. L'ensemble basculerait ainsi dans l'archéologie du savoir et finirait sur des étagères puisque plus personne n'oserait ni ne pourrait s'en servir. Pis encore, ce trésor pourrait, de dépôts en dépôts, subrepticement se détruire - comme ce fut le cas du Musée des travaux publics.
L'ensemble est indissociable, inséparable. Ce patrimoine dépasse la seule compétence du ministère des finances, occupé à la tactique budgétaire. Les trésors de l'Imprimerie nationale sont propriété de la culture, de la connaissance. Ils ne peuvent échapper au bien commun de l'humanité. C'est donc à l'Unesco d'agir, de classer d'urgence ce patrimoine mondial ; d'en faire - pourquoi pas ? - son trésor et sa référence pour l'éducation, la science et la culture. Les trois quarts des caractères historiques de l'humanité sont là, rue de la Convention.
La République française rendrait un double hommage : à l'organisation qu'elle soutient depuis bientôt soixante ans et à ces sculpteurs de l'alphabet qui ont fait la munificence de l'Etat et de la nation. Des architectes s'empresseront de dessiner l'écrin de l'écrit et de l'insérer dans la monumentalité urbaine. Mais le temps presse : les déménageurs n'attendront pas.
Commentaires :
Re: On est tout seul (& Garamonpatrimoine)
Nous (organisatrices ou organisateurs de l'Initiative Garamonpatrimoine) n'avions pas vraiment d'espoir que votre question (et celles des autres sur le même thème) soit posée au pdt de l'U.M.P. et ancien ministre des Finances.
En revanche, plusieurs centaines de tels messages au sujet du site http://www.garamonpatrimoine.org et du devenir du Cabinet des poinçons, de l'atelier du Livre, et de la bibliothèque de l'Imprimerie nationale SA ont été reçues par les responsables de l'émission de TF1.
En conséquence, votre action a servi à faire valoir auprès des rédactions de cette chaîne qu'un problème était estimé suffisamment motivant par des auditrices et auditeurs (potentiels ou actuels).
Merci donc à vous, Zeb, et à Loutre, et à tant d'autres.
Jef Tombeur
http://www.typophage.com/fr/livres
On est tout seul