Juin.
Tu te réveilles en pensant qu'en cherchant bien, on n'est jamais très loin de la survie et de la prédation. Tu te demandes vaguement quel effet ça ferait de ramper dans la poussière radioactive des failles rouges. Et puis tu te dis que tu n'y peux rien si son paysage à elle se lézarde, vu que tu as déjà le plus grand mal à maintenir la cohésion du tien.
Tu te lèves péniblement en pensant que c'est l'antépénultième. Un vertige, justement. Tu fourres hâtivement trois cassettes et deux dvd dans ton sac, au cas où tu aurais des élèves. Mais tu sais que vas encore passer quatre heures à trop fumer, et à commenter ad nauseam la sanglante répartition des services en lettres. Où alors que tu vas réussir à réunir une dizaine de filles, et que tu vas te sentir obligée de goûter des inventions culinaires contestables. L'été sent ce que doit sentir l'été mais tu ne le sais pas.
Tu rentres pas concernée par rien en regardant tes pieds.
La fin d'après-midi traîne elle aussi les pieds, tu vas boire des pots avec des amis. L'angoisse est tellement prégnante depuis le mois d'avril que tu caresses le rêve de tout plaquer, de changer de nom, de vie, de métier, de pays, et de devenir serveuse à rollers dans un snack bar au bord d'une highway. Le soir tu flippes au point d'avoir allumé deux fois la télé parce que sans modem tu tournes en rond.
Tu sais que ça ne va pas, vraiment pas. Il t'envoie un sms pour te dire qu'il est au fond du trou. A 23 h 53 tu lui réponds que tu l'aimes, déclaration accueillie dans un silence assourdissant vu qu'à cette heure, il est en train de digérer le fait que femme n°1 l'ait lourdé. A l'instant où tu l'écris, tu sens que c'est le moment de le dire, et en même temps tu n'as jamais eu autant de doutes sur la véracité du truc. Mais c'est la fin de la fin du monde, et d'une façon où d'une autre, et que tu te mouilles ou pas, il faudra bien que quelque chose finisse.
Le lendemain tu te lèves en pensant que c'est la pénultième. Vertiges et comme d'habitude, tu crèves de froid. Tu prends le rer pour aller ne pas travailler. Après tu vois la guerrière et tu déballes ; ça t'aide pas mal, surtout quand elle te fait remarquer que tes épaules, en fin de compte, ne sont pas si larges que ça.
Il t'appelle et il t'explique que c'est la fin, et des tas de choses dont tu n'as, tu t'en rendras compte a posteriori, pas écouté la moitié, trop occupée à savoir ce que tu allais devenir dans l'histoire. Puis tu vas boire des bières avec Bardamante et tu déballes. Là encore, ça t'aide bien. A la fin de la deuxième Grim tu commences à penser que c'est son apocalypse et pas la tienne. Vous allez dîner à la Butte. Tu t'endors à trois heures, le faux déca, ça aide pas.
Tu te lèves en pensant que c'est la dernière. Sous la douche tu te dis que tu aimerais bien que le bonheur ne soit pas toujours pour demain. Tu sors et tu te rends compte qu'il fait chaud, alors que tu crevais de froid de façon ininterrompue depuis une éternité. Il faut y aller cool, on te dit, en ignorant à quel point la notion de coolitude est inexistante de ta grille de saisie. Tes rares moments de sérénité, deux fois par an, sont exclusivement épiphaniques et dus à une overdose de caféine, par un phénomène étrange et assez semblable à l'homéopathie, mais inversée. Et puis tu te dis pour la deuxième fois de ta vie que tu vas essayer d'avoir confiance, et qu'on pourra pas dire que tu n'auras pas essayé.
Commentaires :
Toujours à vif et près de l'os, tu as l'art de toucher, de remuer là au profond, de faire remonter des sensations que je veux croire communes à certain(e)s, sur, dans le désordre : la largeur des épaules ... le bonheur qui pourrait ne pas être toujours pour demain ... et cette foutue notion de coolitude inaccessible... Bises
salut !
ta Loutritude m'achève... moi qui pensait environ la même chose ce matin même.
et ce fichu essaie qu'on se sent obligé de faire, "faire confiance"... parce que si l'on essaie plus, on crève.
bref, bien le bonjour, bien du courage parce que tu le mérite.
Chelsea
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Hum hum : "Ohé ! bonjour ! euh... quelqu'un a vu la Loutre ces derniers temps ?"
Non mais c'est pas pour dire, mais il fait chaud là, depuis un moment, et vous savez, la canicule, les tong, les vieux mégots... pfff, c'est mauvais pour les loutres un temps pareil, moi je m'inquiète là, si ça se trouve elle est toute sèche, coincée sous une racine de gros arbre et on la retrouvera à la rentrée, avec une moins bonne mine c'est sûr (et aucune recette de cookies).
LOUTRE ! surtout n'oublie pas de boire 2 litres d'eau par jour, même si c'est la fin du monde, vide tes cendriers, vire tes tongs et va hurler un bon coup ! tu nous manque !
Ton petit texte me touche, madame Loutre. Je trouve ce matin que ces petits fils (cuivre, fibres optique, etc...) qui nous relient sont vraiment extraordinaires. Ils colportent quelque chose qui n'a jamais voyagé, ne fut-ce que de quelques centimètres.
Je n'ai pas compris grand chose aux "commentaires sur mes commentaires". Je n'ai nulle prétention, et je m'efforce moi aussi d'être sincère.