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Ayant ces maux fini leur tour
On parlait de Michaux il y a quoi... trois semaines, au-dessus des petits verres et déjà passablement plus très nets (on ne dit jamais rien de très intéressant ni de fondateur sur Michaux et pour autant que je me souvienne, c'est toujours la même conversation qu'on étire et rassemble, enfin bon quitte à parler de poésie mieux vaut causer Michaux que Marguerite Desbordes-Vallmore) or donc, et là paf je me rappelle que Char avait le poème dont je vais vous parler aux murs de son bureau, et je vais grouiller dans ma chambre chercher le bouquin en question, lequel se trouve être un recueil sur la poésie engagée à destination des classes de 3e (je passe le passage où perchée sur ma chaise à roulettes -- un truc à ne pas faire en fin de soirée après les petits verres --, je fouille fébrilement en essayant de trouver un petit bouquin à la couverture noire et rouge), lequel livre possède la désespérante habitude de se cacher (ben oui) à chaque fois que j'en ai besoin (tiens là par exemple, j'en ai besoin pour vérifier si c'est vraiment dans son bureau qu'était accroché le poème, eh bien, je ne le trouve plus). Bon. Et puis j'oublie (l'abus des bonnes choses).

Et puis il y quinze jours, et avant que les élèves ne décident qu'il était temps de faire la révolution, d'essayer de bloquer le lycée tout en niquant la gueule aux casseurs (comment leur dire sans les désespérer que c'était voué à l'échec ?), il y a quinze jours donc je leur présente Ronsard et évidemment ces crétins, ils apprécient (Ronsard me fascine mais ce qui me fascine encore plus, c'est que ça marche toujours avec les élèves. Enfin bon, je sais c'est pas grand chose mais quand même, ça fait plaisir). Alors je me dis : tiens s'ils veulent bouffer du sonnet, je vais leur filer du Jodelle. Et là toc, je me rappelle du truc d'il y a trois semaines (simple, hein ?).

Evidemment dans l'intervalle on a eu la révolution et les casseurs, avec de grands moments dont je risque de me souvenir longtemps, notamment celui où la gamine a été piétinée et celui avec toutes les pierres qui volaient. Du coup j'ai plus le temps pour Jodelle parce que le sonnet à travers les siècles, ça élimine Jodelle, surtout si je veux garder Laforgue.
Alors c'est ici que ça se passe.

Comme un qui s'est perdu en la forêt profonde,
Loin de chemin, d'orée, et d'adresse, et de gens,
Comme un qui en la mer grosse d'horribles vents
Se voit presque engloutir des grands vagues de l'onde,

Comme un qui erre aux champs lorsque la nuit au monde
Ravit toute clarté, j'avais perdu longtemps
Voie, route et lumière, et presque avec le sens
Perdu longtemps l'objet où plus mon heur se fonde.

Mais quand on voit -- ayant ces maux fini leur tour --
Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour
Ce bien présent plus grand que son mal on veut croire.

Moi donc qui ai tout tel en votre absence été,
J'oublie, en revoyant votre heureuse clarté,
Forêt, tourmente, et nuit, longue, orageuse et noire.

Jodelle donc, 1574. Pas super comme auteur de théâtre (faut-il rappeler qu'il a plus ou moins inventé la future tragédie classique), mais maître en crises d'angoisse et soulagements consécutifs à leur résolution (et en enjambements comme au vers 5). Mon frère, dans mes bras ! (Z'avez vu le vers 10 ?)

Bon ben voilà, c'est tout :).

Ah si tiens, si je le trouve je vous mettrais bien le truc du bûcheron, un vieux souvenir de CM2, puisqu'on parlait de Ronsard. Et puis c'est bien le bûcheron, dans le genre protopaïen. (C'est dingue quand même, google qui sert de mémoire ; est-ce qu'on peut considérer ça comme un genre de noosphère ?)

Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?
Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d'été ne rompra la lumière.
Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette.
Tout deviendra muet, Echo sera sans voix ;
Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois,
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ;
Tu perdras le silence, et haletants d'effroi
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi.
Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphire,
Où premier j'accordai les langues de ma lyre,
Où premier j'entendis les flèches résonner
D'Apollon, qui me vint tout le coeur étonner,
Où premier, admirant ma belle Calliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jeta.

Elégies XXIV "Contre les bûcherons de la forêt de Gastine"
Pour la suite, c'est n'importe où, , par exemple. (Ben oui, c'est un site sur le bois, je sais.)



Ecrit par Loutre, le Dimanche 26 Mars 2006, 21:06 dans la rubrique Journal de bord.

Commentaires :

ZEB
30-03-06 à 22:31

C'est bien beau Jodelle... et tiens bon pour Laforgue, après la révolution ça peut pas faire de mal de découvrir un auteur vraiment rebelle aux discours anciens et qui semble pourtant n'adhérer à rien. Pour Desborde-Valmore, crois-en "le spécialiste des auteurs abominables", c'est Marceline son prénom. Bise et courage.

Zeb


 
Loutre
31-03-06 à 18:57

Re:

Oui, j'hésitais entre Laforgue et Corbière bon quoi, que des gens bien :).
Merci pour Marceline.
Y'a des gens (mais de Lyon II alors peut-on croire des gens de Lyon II ?) qui disent que Jodelle aurait été l'amant de Louise Labé, mais ils n'ont rien pour le vraiment prouver. Chouette histoire. tiens, toi tu sais peut-être pourquoi il a été condamné à mort, le Jodelle ?
Bises