Quelle que soit la grille à travers laquelle j'observe ma petite vie loutrocentrée, je me retrouve engluée dans un faisceau de pensées contradictoires ; la tentation du serrage de dents comme antidote à la culpabilité ; la volonté d'exister pleinement dans cette histoire et de le revendiquer hautement ; la peur d'être la proie abandonnée à moitié rongée ; la confiance et l'émerveillement pour ce que je vois dans ses yeux. J'oscille des unes aux autres : il n'existe pas de centre.

Cela explique en partie mon mutisme, surtout en ces jours noirs où plus rien ne vit : peut-on vraiment faire confiance à l'univers ? Est-ce qu'on peut être sûr et certain que les jours vont rallonger ? Peut-être qu'on va rester comme ça, avec le soleil mal coincé sur l'écliptique, hein, on ne sait jamais, qu'est-ce qui nous dit que le bazar ne va pas s'arrêter de tourner un jour ? -- maintenant que j'y pense, faire brûler tous les soirs une chandelle pour que la Gravité continue à faire son boulot (dans le doute : honorons les Forces Qui Nous Dépassent).

Bon (comme on reprend vite ses mauvaises habitudes).
Aheum. Il y a des hauts, il y a des bas, pour paraphraser Djian via un chanteur suisse et barbu, et pour le moment on est en pause forcée cinq semaines, personne n'est responsable, c'est pas un bas c'est un abîme, même si on essaie de se lancer des bouts de trucs d'un bord à l'autre dans l'espoir qu'ils s'assemblent en une miraculeuse et lumineuse tresse magique.

Des hauts et des bas pour tout le monde et surtout pour celle qui n'était volontaire qu'en théorie pour l'aventure, et pour le moment les vagues de trois mètres de haut qui la giflent sur un pont de bateau qui a tout l'air de rétrécir ça fait mal. De fait, il est long le chemin de la coupe aux lèvres, on ne traverse pas en six mois vingt-et-un siècles de lent conditionnement, c'est terrible dans la pratique la liberté, aussi beau et effrayant que le tigre de Blake qui se meut souplement dans les forêts, prêt à te choper et à te bouffer tout cru sur sa branche -- celle que tu n'avais pas vue. On peut préférer le confort d'une cage dorée.

Enfin, je suppose qu'on ne peut pas tout à fait expliquer à quelqu'un qui souffre que seul l'amour y entrera et que seul l'amour en sortira, et que c'est aussi ça qui lie les petits protons (heu) (une vision très poétique mais malheureusement fort peu précise). En vieillissant quand je ne me surveille pas je vire vite chardiniste -- au secours ai-je avoué récemment à un frère d'armes, avec nos conneries on va finir par devenir gentils ;) --, enfin on pourrait faire pire après tout que Chardin revu et corrigé par Dan Simmons, ça semble même très magickement correct la notion d'espace qui lie, pas pire que de vouer un culte à la Gravité, quoiqu'un G parfois, ça puisse paraître lourdingue -- ô pitié, faites qu'au moins ça passe vite.

Allez tiens, un peu de Jaccottet pour conclure, des fragments sans aucun rapport les uns avec les autres qui, cousus, forment un nouveau surtexte, celui que je m'apprête à calligraphier :

Entre la plus lointaine étoile et nous,
la distance, inimaginable, reste encore
comme une ligne, un lien, comme un chemin
et ce serait, dans l'espace plus haut
comme recoudre, astre à astre, la nuit.
Dans le jour hérissé d'oiseaux
ce ciel qui me traverse me surprend.