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Un post pour rien
Le Lézard lubrique de Melancholy Cove, de Christopher Moore, est un excellent bouquin, le diable seul sait pourquoi je ne l'ai pas signalé avant, puisque je l'ai lu il y un an. Chez Gallimard, en série noire grand format. Ça fait penser un peu au Vermilion Sands de Ballard. (Recherchant chez Amazon s'il était disponible -- la réponse est non -- je viens de m'apercevoir que seulement neuf titres de Ballard étaient disponibles en français. Comme le disait Manu il y a 10 ans, "ça va absolument pas du tout"). Dans Vermilion Sands donc, de même que Le lézard lubrique, il y a une station balnéaire vaguement désaffectée, vaguement ennuyeuse, vaguement décadente, dans un monde vaguement post-apo. C'est vaguement sf vaguement polard. Et c'est vachement bien. (Ma chronique la plus courte de l'histoire de ce blog).
Autre chose que j'ai omis de signaler le mois dernier, c'est Un été prodigue, de Barbara Kingslover. Pour quelqu'un qui avait commis L'arbre aux haricots et sa suite, on peut dire qu'elle assure. Surtout la partie concernant Deanna. Allez, je balance la fin si OmniPage veut bien faire son boulot.
(Merci OP, marche foutrement bien en ce moment).


Elle fit une pause en haut du champ, humant l'odeur ténue de chèvrefeuille. Étrange que quelqu'un fût encore dehors, à cette heure avancée de la nuit. Gardant l'allure, elle franchit rapidement le champ à l'orée du bois, là où la lune rencontrait dans l'herbe la mince lanière argentée qui avait mené des centaines d'autres animaux le long de cette lisière devant elle. Elle suivait une piste incertaine bien qu'elle fût si sûre d'elle d'habitude. Mais aucune menace ne planait alentour. Le nez au sol, elle prit de la vitesse, serrant de près la partie haute du champ qui bordait toute cette vallée, se glissant aisément sous les clôtures de barbelé, les unes après les autres. Elle ne s'aventurait jamais loin dans ces endroits dangereusement à découvert, avec ces stupides essaims d'animaux sous la lune, mais veillait plutôt à se cantonner à la limite du bois aux rassurantes odeurs d'humus et de fruits pourris. Elle aimait l'air après une grosse pluie et une expédition en solitaire où elle se sentait libre de courir à un train trop rapide pour toute compagnie. Libre de s'arrêter sur le sentier là où elle avait besoin de tout son temps pour une grappe de mûres des plus tentantes ou pour humer les fascinantes informations contenues dans une odeur inexistante la veille.
Pourtant un malaise grandissant s'emparait d'elle, parvenue si avant au bas de la montagne. Elle n'avait jamais pu se mettre en harmonie avec la cacophonie des sensations en suspens dans l'air autour de ces fermes : les incessantes querelles des chiens, enfermés à l'arrière des habitations, qui hurlaient d'une vallée à l'autre, le gémissement de la périlleuse autoroute au loin, et, par-dessus tout, les odeurs aiguës et étranges de toute entreprise humaine. À présent, ici où cette succession de champs remontait en boucle dans la longue combe suivante, il y avait des effluves d'essence qui s'élevaient de la route, et quelque chose d'autre, la poussière d'une quelconque récolte qui lui brûla le nez, noyant même la mémorable âcreté des bêtes gravides du champ situé en contrebas.
Elle avait atteint l'endroit où la piste descendait dans un champ de pommiers sauvages et, là, elle hésita. Elle aurait bien aimé musarder à travers les touffes d'herbe haute et les bruyères, en quête de quelques pommes sucrées, attendries par le soleil. Ce champ tout entier et le verger plus bas exhalaient un parfum de bienvenue, une absence notable de brûlure chimique dans l'air qui les rendaient toujours attirants pour les oiseaux, pour les mulots, et pour elle aussi, sûrement, à l'instant même. Mais elle se sentait inquiète et troublée d'être si loin de sa sœur et des petits. Faisant demi-tour, elle reprit de la hauteur, de nouveau en terrain plus sûr où elle saurait disparaître dans les ombres moirées en cas de danger. Le reste de la bande arriverait jusqu'au contrefort en montant par l'autre vallée. La façon la plus aisée de les trouver à partir d'ici serait de suivre la crête de ce contrefort jusqu'au sommet et de les appeler quand elle serait plus proche.
Elle longea une berge rocheuse escarpée à l'odeur fétide de mousse humide, et riche de petites mares boueuses à sa base — un endroit idéal pour laisser les petits fouiner à la recherche d'écrevisses dans la journée. mais pas maintenant —, puis elle grimpa dans les bois plus anciens et plus familiers. Il y avait là une clairière aux senteurs de noisette où des années de glands et de noix avaient été enfouis sous l'humus par les écureuils, qui appréciaient particulièremenr l'endroit, pour des raisons inconnues d'elle.
Elle avait déjà fait bien des fois des repas d'écureuils à cet endroit, mais, maintenant qu'il faisait sombre, ces bêtes craintives étaient réticentes à quitter leur cachette après pareille tempête. Pourtant, elle devinait le badinage nocturne, aigu, plus hardi, des écureuils volant là-haut dans les noyers blancs. Elle revint par les bois, puis s'arrêta de nouveau pour poser le nez sur une antique souche géante en décomposition, garnie d'un jardin de champignons à l'odeur aigre qui bourgeonnaient en permanence de son pied. D'habitude une odeur de lynx émanait de cette souche. Mais elle constata qu'il n'était pas venu ici dernièrement.
Elle s'arrêta à plusieurs reprises au cours de son escalade de la berge, relevant une seule fois l'odeur qu'elle avait suivie un moment plus tôt dans la soirée, mais la perdit de nouveau, car une telle pluie effaçait presque tout. C'était un mâle, et particulièrement intéressant : il ne faisait pas partie de son clan ; il n'était pas connu d'eux. Une autre famille était descendue du Nord, ils l'avaient appris ; ils les avaient entendus vocaliser la nuit et savaient qu'ils étaient tout proches, bien qu'ils ne soient pas déjà venus jusqu'ici. Elle s'arrêta de nouveau, humant l'air, mais cette trace n'allait pas maintenant se révéler à elle, quelle que fût la peine qu'elle se donnerait pour la retrouver. Et, en cette tendre nuit humide d'un commencement du monde, cela lui convenait. Elle savait traquer avec patience. Dès le moment où le temps froid arriverait en force puis prendrait de la douceur à la saison des amours, ils connaitraient tous leurs lieux de prédilection mutuels.
Elle s'immobilisa pour guetter brièvement un son inattendu dans les parages. Rien. C'était une belle nuit calme, remplie de choses coutumières. Les écureuils volant de chêne en chêne à portée d'oreille ; une mouffette à mi-pente de la montagne ; un troupeau de dindes perchées, tout près, dans l'entrelacs des branches d'un chêne énorme tombé pendant la tempête ; et devant, plus haut, quelque part, une des petites chouettes qui aboyaient quand la lune était à moitié noire. Elle partit d'un trot vif vers le haut de la crête, laissant derrière elle la trace délicate et sinueuse de ses empreintes et de sa propre odeur.
Si, dans cette forêt, quelqu'un l'avait observée, un homme armé d'un fusil, par exemple, dissimulé dans un épais bois de fayards, il aurait noté sa rapidité à monter le sentier, inspectant le sol devant elle, tellement absorbée dans sa quête solitaire qu'elle n'aurait pas semblé consciente de sa présence. Il aurait pu la suivre des yeux un long moment, jusqu'à se croire, lui-même et cette autre vie turbulente, les deux seuls représentants vivants de cette forêt de feuilles qui dégouttaient, respirant au sein de quelque atmosphère à part, en quelque sorte plus raréfiée et plus importante que l'univers d'air exhalé en silence par le feuillage qui les entourait.
Mais il se serait trompé. L'homme a l'arrogance de se croire seul. Chaque pas silencieux résonne comme le tonnerre dans la vie souterraine des insectes, une secousse sur un fil impalpable de la toile qui attire partenaire à partenaire et prédateur à sa proie, un commencement ou une fin. Tout choix offre un monde tient à l'élu.


Arrivés là, on ne peut pas faire autrement que de penser au Big Sur de Kerouac, quelque chose à relire absolument, et à certains Harrisson. Ça sera pour la semaine prochaine, pour le moment je relis des Hillerman dont je ne me souviens plus un mot, avec le même plaisir qu'avant, histoire de soigner mes courbatures (une vie saine que voulez-vous, je crache mes poumons tous les matins au Jardin des Plantes ; si vous voyez un machin petit format en short rouge en train de faire teuf-teuf-teuf à cinq à l'heure sur les coups de 11 heures là-bas, cherchez pas : c'est la loutre qui expèctore (? incroyable, il y a le verbe expectorer dns le Bescherelle !) expectore son paquet quotidien). Ouaip. Et à part ça je crois bien que j'ai dépassé mon découvert autorisé mais j'ose pas regarder.
Putains de balises. Qu'est-ce que j'ai encore oublié de refermer ? Ah. Voilà.



Ecrit par Loutre, le Vendredi 23 Juillet 2004, 22:12 dans la rubrique Journal de bord.

Commentaires :

Amorgen
26-07-04 à 09:31

en short rouge ? O_o et tous les matins ??? tu as toute mon admiration :-)

 
Loutre
26-07-04 à 16:27

Re:

Ben, pas tous les jours en short rouge, par exemple ce matin j'avais un bas de jogging (rouge aussi remarque) mais sinon oui, tous les jours (ligne directe avec le divin après, c'est fou ce que ça fait, les endomorphines auto-secrétées ; sauf le dimanche, i don't like sundays et puis faut pas déconner avec le jour du seigneur hein ! (en fait, trottiner en zigzagant entre les poussettes, ça le fait pas trop).

 
Anonyme
08-11-05 à 07:38

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