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Pattern (un bon soir pour mourir)
La première fois que je l'ai vue, elle avait 7 ans, et s'était installée de façon très péremptoire sur mes genoux pour me lire une obscure histoire d'âne et de grenouille. C'était mon amie-petite-fille, une sorte d'Alice rien qu'à moi, la seule qui avait le droit de boire dans ma bière et de m'arracher les clopes de la bouche pour les écraser direct sans que je moufte. Toujours collée à moi, une sorte de reconnaissance immédiate ça avait été, et pendant des années je n'avais pu penser les vacances qu'en fonction de sa présence, une présence parfois sur un genou ou deux, je n'ai pas le souvenir d'un apéro sans qu'elle ait été sur moi, présence plutôt dense pour 20 kilos de blondinette gamine.
La dernière fois elle avait 12 ans, elle rentrait en 5e et m'avait entretenue de sujets graves, de brassière et de soutien-gorge, et ses copines qui, et ses profs que.
Et voilà qu'elle a 23 ans, qu'elle est adulte, qu'on fait le même métier et que je me retrouve toute bête parce qu'elle se rappelle des choses dont je n'ai pas le moindre souvenir, que je lui avait offert Fifi Brindacier et même Fifi Princesse, moi aussi je me souviens petite fille que tous les ans je t'offrais des coquillages et des fossiles qu'on achetait dans la même boutique de Saint-Martin-de-Ré, que tu détestais le vélo et qu'il fallait te pousser et voilà que tu reprends la conversation quasiment où elle s'était arrêtée il y a 11 ans, et que nous aimons les mêmes livres.
Et plus tard encore avec ton père et toi on entame une conversation sur l'entropie et Moorcock et Zelazny en collant l'adjectif fractal à tous les substantifs et on est tellement d'accord sur le manque de sens et les métaparadigmes et le goût de ce vin blanc que je me dis que je voudrais mourir sur place tellement c'est bon, si je ne devais pas rentrer pour nourrir la chatte.
Et je rentre sur le porte bagage du vélo de Cl. en me disant que je ne vais pas survivre à cette soirée, du moins pas au chemin du retour parce qu'on va se viander forcément à gîter comme on le fait sur la côte jusqu'à Place d'Italie, puis sur mes pieds réchappée miraculeusement du crash de Place d'Italie à chez moi et sous la lune waning gibbous je me dis que finalement ça en valait la peine et à 300 mètres de la maison je ralentis et pas qu'un peu, narines dilatées à l'affut je ne veux pas que cela s'arrête et d'ailleurs il n'y a plus de temps un pas très doucement après l'autre et je n'avance plus secondes étirées à l'extrême, dites-moi que je peux au moins épingler cela, la nuit le jour passent et repassent, ma dernière soirée de vacance(s), la lune, le ciel clair, les odeurs de l'automne dans l'air déjà, moins vite, moins vite, de moins en moins vite jusqu'à caresser de mes mains phosphorescentes qu'on dirait gantées de lune la porte verte de l'immeuble.


Ecrit par Loutre, le Dimanche 5 Septembre 2004, 03:22 dans la rubrique Journal de bord.

Commentaires :

Joe
05-09-04 à 14:10

sur le porte bagage du vélo claudiquant du temps -
l'élève devenue prof et l'amie prof
la fille devenue femme et la femme

15 partout
temps sans roues tombé à terre

Melody Nelson a les cheveux rouges
et c'est leur couleur naturelle


Gainsbourg

 
Loutre
05-09-04 à 14:15

Re:

Eh, c'est joli ça :). Merci !