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Les Syrtes contre Hadrien et Zénon
   Bien ! Il arrive donc parfois à Mâme Savigneau du Monde des livres de ne pas écrire que des conneries... Pour preuve ce qui paraît ce soir, et que je recopie ici là même tout de suite (mais pourquoi l'article n'est-il pas disponible là, tout de suite, sur le site ?) (a posteriori, je crois que l'ocr c'est pas fait pour les lapins... vivent les fautes de frappe) Hé ! Je n'ai pas dit que j'étais d'accord avec tout ce qu'elle écrivait ! (Pas du tout, même), mais bon... c'est intéressant, et elle a le mérite de poser le problème.

Les Syrtes contre Hadrien et Zénon


   "Ce qu'elle écrit ressemble à des traductions de versions latines"; "un style empesé","drapé", "daté" ("mâle" ajoutait-on parfois, mais cela se voulait un compliment) : que n'a-t-on lu sur Marguerite Yourcenar ! Etait-ce une manière, peu élégante, de signifier que, parmi les écrivains du XXe siècle, elle ne courait pas dans la catégorie de Proust et de Céline, mais derrière ? Peut-être. Toutefois, ces mêmes critiques qui méprisaient Yourcenar portaient au pinacle... Julien Gracq. On pourrait pourtant penser que ces deux-là courent dans la même catégorie, celle des brillants seconds rôles, et que préférer l'un ou l'autre est affaire de goût plus que de hiérarchie littéraire. Il y a là quelque chose de mystérieux, relevant probablement de cette manie française de se chercher, en littérature, à chaque génération ou presque, des icônes : un grand silencieux, qui-se-tait-mais-n'en-pense- pas-moins (on n'imagine jamais qu'il n'a simplement rien à dire). Evidemment Marguerite Yourcenar, avec son air hautain, son œil moqueur et son ironie, était parfaite pour endosser cet habit-là.
   Gracq/Yourcenar : l'affaire ne date pas d'hier. En 1951, quand Gracq refusa le Goncourt pour Le Rivage des Syrtes, Yourcenar venait de publier Mémoires d'Hadrien, son premier grand succès, mais qui avait paru trop tard pour concourir pour les prix d'automne. Des années après, en 1977, François Nourissier, très admiratif d'd'Archives du Nord, qui venait de sortir, écrivait dans Le Point que la langue de Yourcenar était "plus juteuse" que celle de Gracq. Plus sensuelle aussi, ce qui n'était pas très difficile.
   Opposer encore Gracq et Yourcenar serait bien inutile, s'il n'était franchement irritant de voir que se perd aujourd'hui tout critère d'évaluation littéraire des œuvres, pour faire place au seul goût des critiques. Ainsi, au moment où la France dédaigne le centenaire de la naissance de Yourcenar, on lit périodiquement des proclamations (sans aucune analyse) faisant de Gracq "le plus grand écrivain français vivant". Exit Claude Simon (qui a le tort de ne pas s'annoncer "reclus", donc de ne pas susciter la "visite au grand écrivain caché"), et un ou deux autres, qui ont le tort d'être trop vivants.
   Alors, pour célébrer le centenaire de Marguerite Yourcenar d'une manière qu'elle aurait aimé, on peut sans crainte relire, par exemple, L'œuvre au noir, son livre préféré, et le fameux Rivage des Syrtes. On s'apercevra que Zénon soutient bien plus que la comparaison...


   La langue de Yourcenar [...] "plus juteuse" que celle de Gracq. Plus sensuelle aussi, ce qui n'était pas très difficile.

   Mais ! (Parfois on a ainsi quelques hallucinations...) Mais ont-ils (Nourissier et Savigneau) seulement LU quelques lignes de Yourcenar et de Gracq ? Ne se sont-ils pas rendus compte que la langue qu'ils utilisent ÉTAIT la sensualité même ? Que le lecteur se sentait caressé par leurs mots comme par personne ? Que leur limon ÉTAIT la langue ? Ça me fait penser à ces réflexions de ces mêmes crétins mais anglais sur la langue de Virginia Woolf... Je rêve...


Ecrit par , le Jeudi 5 Juin 2003, 21:24 dans la rubrique Journal de bord.