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La preuve de mon mauvais caractère (un soir comme tous les autres)
Il y a environ trois ans (ces italiques pour 1095 jours et 20 heures parce qu'il a eu une année bisextile par là-dessus), je me faisais plaquer. Je rentrais de quelques jours de vacances chez mon père, et alors qu'elle m'annonçait ça, quelque chose du genre "J'ai beaucoup réfléchi et..." (en y réfléchissant justement bien, personne n'a jamais énoncé ces mots devant moi sans qu'ils soient suivis d'une kyrielle de saloperies ; et pourquoi pas "J'ai beaucoup réfléchi et... je crois que tu es la femme de ma vie" ou "J'ai beaucoup réfléchi et... je pense que je voudrais un enfant de toi" ou "J'ai beaucoup réfléchi et... je crois que le mieux, ce serait qu'on sorte ensemble" ou même "j'ai beaucoup réfléchi et... finalement je vais prendre un pastis"; hein ? quoi ? ouais ; ben non) et, me disait-elle, (l'attrait de l'aspect réalisé par l'imparfait est ici que je peux faire durer le moment à l'envi, étirer les secondes, j'étais sur mon lit je crois et je sortais de mon sac la galette que j'avais acheté pour elle ; elle devait être debout devant mon bureau, plus ou moins) "... et je crois qu'il faut qu'on se sépare" (je mentirai en disant que je ne m'y attendais pas sauf que j'avais pris ces quelques jours de vacances pour réfléchir moi aussi et que j'en étais arrivée à la conclusion qu'il ne fallait pas que je la quitte — herbe coupée sous le pied donc — parce que je l'aimais vraiment quoiqu'elle fût insupportable, égocentrique, abonnée à Télérama, fan de daube musicale, copine avec une fille qui chantait dans une chorale, aussi jésuite dans l'âme qu'huguenote dans l'esprit, crypto-jospiniste, que je détestasse plus que cordialement sa mère et qu'elle me broutât mon espace vital) et juste après ces quelques mots, peut-être même sans que je réalisasse consciemment ce qu'elle était en train de me dire, et alors que chacune des cellules de mon corps la pleurait déjà et que mon cœur serré comme dans la main du Gritche sauf que les pointes étaient à l'intérieur saignait à gros bouillons, à ce moment donc, plutôt que d'hurler ce noooooooon qui ne se décidait à franchir ni la barrière de mes lèvres ni celle de mon poing serré dessus (car je suis sûre sans m'en souvenir vraiment que par un mécanisme de défense peut-être pas si naturel que ça j'avais mis ma main droite resserrée devant ma bouche), à ce moment là, j'ai déclaré d'un ton sarcastique : "Mais... la porte est grande ouverte !"

Ouais. Que je hurle non ou pas, que je fasse le geste de me précipiter vers la fenêtre, de l'ouvrir et de l'enjamber, ou que je lui adresse un grand sourire en disant "mais quelle bonne idée" cela n'aurait rien changé. Mais tout de même. J'aurais pu trouver plus intelligent et surtout plus gentil.

Comme quoi j'ai vraiment mauvais caractère.

Et peu de temps après j'ai rêvé qu'atteinte d'une grave maladie, elle mourait dans mes bras. Et que sa mère m'empêchait d'aller à son enterrement. (On dira ce qu'on voudra mais au moins, l'optimisme ne m'atteint pas.)

Après j'ai voulu qu'elle revienne.

Et elle est revenue.

[...]

(Pause cigarette)

Et puis après trente milliards de mauvais coups suivis de trente milliards de réconciliations suivies de quelques après-midi torrides, un jour comme ça, une veille de pré-rentrée, je n'ai plus eu du tout envie de la voir.

Sauvée.

Comme quoi (je ne le note pas pour plus tard, comme si je ne le savais pas) les histoires se répètent.



Et c'est vraiment la fin de l'épisode, parce que je ne vais pas passer le restant des soirs de Samhain de ma vie à parler d'elle.



Et ce soir, que le monde reste monde. Pas de portes béantes du ciel, pas même un entrebâillement. Nuages en rangs bien serrés. Ni gouffres ni fissures. C'est un soir comme tous les autres. Pas d'ombre.



Ecrit par Loutre, le Dimanche 31 Octobre 2004, 18:40 dans la rubrique Journal de bord.