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Journée Michaux
   4 juin, journée Michaux.

   Pour fêter ça, extraits de Quelques jours de ma vie chez les insectes (texte qui par ailleurs a toujours déconcerté mes élèves, je me demande bien pourquoi...)
   Calligraphié, il rend très bien aussi, mais on peut se contenter de le lire.
   Mon ex détestait ce texte, je n'ai jamais compris pourquoi. C'était en rapport avec Bashung je crois, mais j'ai perdu le fil...

   Quoiqu’ils fussent insectes et non hommes, ils jugèrent tout de suite que je ne pouvais rester seul et m’offrirent une chenille à ma taille avec qui je pusse passer la nuit.
   Inattendu certes, des chenilles femelles, mais tout était inattendu.

   Sa peau était de velours, du plus beau vert bleu, aux îles orangées, mais froides et poilues.
   Fasciné, je contemplais la procession ondulante et perverse des chairs dodues, progressant souverainement vers moi, reine et caravane.
   Monstrueuse compagnie.
   Cependant lorsqu’elle fut proche à me toucher, l’esprit comme de celui qui va à la guillotine, mais corps consentant, gagné, haletant, je m’abandonnai.
   Ce fut ensuite une vingtaine de centres musculeux et avides faisant le siège de mon être débordé.
   Orage, long orage, cette nuit.

   Le matin, lorsque accablé et en même temps assouvi comme de ma vie je ne l’avais jamais été, je m’éveillai, il me sembla que jamais plus je n’oserais lever les yeux sur qui que ce soit, et, en même temps que je pourrais dorénavant, ayant enfin atteint le fond, regarder en face la nature entière, les bêtes, la terre.

   Il est un fait que l’accueil que l’on me fit alors fut beaucoup plus aisé et naturel que celui de la veille.
   Ce qui s’était montré de gêne, de contrainte chez eux à mon égard venait donc de ma réserve, de ma retenue. Belle retenue ! Quel homme dans l’histoire de l’humanité en avait montré moins ?
   Cependant la vie continuait, les jours me distrayant des fascinantes nuits.
   Il m’arriva toutefois un matin d’agacement, d’énervement que… je l’attrapai, lui tordis le cou (pas facilement, énorme, toute en muscles !) et à peine morte, toute gigotante encore et dangereuse au point de mordre réflexivement, lui crevai la tête et en arrachai un fragment de cervelle.    Succulent morceau, que je ne puis mieux comparer qu’au cœur de palmier, mais qui serait plus sucré et légèrement vanillé.
   Qu’allait dire le chef ? Eh bien, il s’enquit simplement si je l’avait trouvée bonne. Il paraissait néanmoins préoccupé et tout en m’en offrant une demi-douzaine de remplacement, ajouta, comme qui veut être obéi : “Pour manger, prenez-les absolument vierges.” Pour quelle raison, je ne sais. Il m’en mettais six de côté à cet effet et je disposais d’une autre pour les délires de la nuit.
   J’essayais toutefois de me modérer, n’en mangeant que de loin en loin, luttant contre la naissante et insidieuse habitude…

   Il semble qu’il y ait pas mal de ces chenilles sexuées, phénomène surprenant. Le soir, je les voyais, la nuit, je les entendais. Le continuel écrasement de mon toit me disait le pesant passage au-dessus de moi des masses animales torturées de désir…
   Nous allions aussi à la chasse aux hommes. Des dégénérés !
   En plein vol, moi à califourchon sur le corselet d’une volante à quatre ailes, on vous les cueillait par la tête, tandis qu’ils marchaient avec cette allure patiente, réglée et ridicule qui est la leur et qui pue l’hypocrisie.
   Leurs enfants, plus savoureux encore. On n’avait qu’à se baisser pour les attraper, ça n’a aucune force. D’adresse, encore moins. D’intelligence autant dire aucune, et courtauds et sans armes et ne sauraient, s’ils en avaient, s’en servir.

   A côté de notre territoire, celui des guêpes géantes et des Custives éléphantines était dangereux.

   Un jour, un immense ichneumon femelle fonça sur moi et j’eus un mal inouï à éviter sa tarière qu’elle voulait absolument m’enfoncer dans les reins pour y déverser ses œufs abondants, que moi ensuite j’aurais eu à nourrir de ma chair patiemment des mois durant, larves infectes et victorieuses.
   On peut croire que je me débattis. Quoique peu habitué à l’épée, encore moins au bâton, ma seule arme du moment, je réappris en quelques minutes le peu que j’avais appris de feintes, de coups de bout, de moulinets et de parades. Sans doute mon poignet se serait tordu de fatigue, si le danger ne m’avait donné des muscles d’acier et des détentes foudroyantes… et constamment le ciel recrachait sur moi ce démon au noir corselet si vif.
   Enfin cette mère obstinée, sur un vol soudain de Bidiriques, changeant de dessein, fonça à leur suite, débarrassant mon horizon et ma vie de l’épouvantable menace…

Ecrit par , le Mercredi 4 Juin 2003, 16:44 dans la rubrique Journal de bord.