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Coyote
Un extrait de Christopher Moore pour le week-end. A la réflexion ça me fait aussi penser à du Shekley.

Coyote reçoit ses pouvoirs magiques

Un jour, il y a très longtemps de cela, avant l'apparition des êtres humains et des postes de télé, seuls les humanimaux hantaient la Terre. Le Grand Esprit, alors le seul ouvrier de l'époque, décida de donner un nom à chacun. Il fit savoir aux humanimaux qu'ils devraient tous se présenter chez lui au lever du soleil et que chacun recevrait un nom et les pouvoirs magiques y afférant. "Pour pas faire de jaloux, avait précisé le Grand Esprit, ce seront les premiers arrivés les mieux servis." En ce temps-là, la Terre était un chouette endroit... tant que vous arriviez à l'heure.

La méthode du Grand Esprit ne faisait pas l'affaire du Coyote. Il aimait se lever à midi et glander tout l'après-midi à rêvasser aux combines qu'il pourrait monter. D'avoir à se lever à l'aube lui posait un grave problème car par ailleurs il voulait à tout prix hériter d'un beau nom.

"Aigle, ça ce serait vraiment bath, pensa-t-il. Je serais rapide et puissant. Ou bien Ours, alors... Comme ça je foutrais la plumée à tous ceux qui me chercheraient noise. Faut absolument que j'aie un beau nom, même si je dois rester éveillé toute la nuit."

Quand le soir descendit sur la Terre, Coyote chercha un bar où il pourrait boire un expresso bien serré. Mais déjà en ce temps-là, ce genre d'endroit était fréquenté par des pseudo-intellos d'humanimaux en mocassins complètement destroy qui s'asseyaient autour d'une table pour refaire ce monde de merde. Ce qu'il n'était pas encore.

"Non, j'aurai pas assez de cran pour entrer là-dedans, se dit le Coyote. Tout ce que j'ai à faire, c'est me dégoter de la poudre magique qui me tiendra éveillé jusqu'au matin."

Il partit voir le Corbeau. Tout le monde savait que le Corbeau était en cheville avec un collègue vert d'Amérique du Sud, dealer de poudre magique qui empêchait de dormir.

— Je suis vraiment désolé Coyote, mais je ne peux plus te faire crédit. Pour avoir de cette poudre, faudrait que tu m'amènes trois chiens de prairie, là, maintenant, tout de suite. Et oublie pas que j'les aime plats comme des limandes les chiens de prairie."

En fait, le Corbeau n'était qu'un sale petit enculé de sa mère qui croyait passer pour un type cool parce qu'il portait des lunettes de soleil, y compris la nuit. Mais pour qui se prenait-il pour agir de la sorte avec Coyote ?

— 'coute-moi, mec, implora Coyote, demain c'est le jour de la distribution des noms. Y me faut l'aigle. Tu m'avances le gramme que j'te demande, et demain, à la première heure, j't'apporte six chiens de prairie. C'est pas un bon deal ?

Corbeau fit non de la tête et Coyote s'en alla, honteux.

— Bah ! Je suis sûr que je peux rester éveillé sans prendre de poudre. Suffit que je me concentre. Coyote fit tout son possible. Quand la lune atteignit le milieu de sa course, il commença à piquer du museau.

— 'tain! Ça marche pas. J'arrive pas à garder les yeux ouverts."

Souvent, de soliloquer lui donnait des idées ; ce qui était une excellente chose car ils étaient bien peu à lui parler. Il cassa deux piquants de cactus qu'il coinça entre ses paupières pour garder les yeux ouverts.

— Je suis un génie, dit-il... juste avant de s'endormir.

Quand il se réveilla, le soleil était au zénith. Coyote se rua chez le Grand Esprit. Il cogna à la porte.

— L'Aigle ! Je veux l'aigle ! brailla-t-il.

Ses yeux le faisaient atrocement souffrir et la peau de ses paupières était encore sanguinolente autour des marques laissées par les piquants de cactus.

— L'Aigle? Tu plaisantes. Ça été le premier demandé. Mais qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? T'as fait la bamboula ?

— Sale nuit. M'en parle pas, répondit Coyote. Qu'est-ce qu'il te reste en magasin ? L'Ours. T'as encore ça ?

— Non, j'ai plus ça non plus. Il me reste plus qu'un nom. Personne en a voulu.

— C'est quoi ?

— Coyote.

— Tu te fous de ma gueule ?

— Apprends que le Grand Esprit ne se fout jamais de la gueule de qui que ce soit."

Coyote sortit et alla rejoindre la foule des humanimaux qui rigolaient comme des bossus en parlant de leurs nouveaux noms et de leurs pouvoirs magiques flambant neufs.

Coyote essaya le troc mais même le bousier lui répondit "va chier".

"Viens ici, mon garçon, lui dit le Grand Esprit. D'accord, tu te retrouves avec le plus moche des noms. Et tu pourras plus jamais en changer. Mais à compter d'aujourd'hui tu seras le chef des Sans-Foyer. Et à compter d'aujourd'hui, il te sera possible de prendre l'apparence de qui tu veux et de la conserver le temps qu'il te plaira."

Coyote réfléchit un instant : "Hé ! Pas mal ! Je devrais jouer les abrutis plus souvent quand on voit ce que ça rapporte."

— Alors ça veut dire que les autres seront obligés de faire ce que je demande ?

— Parfois, répondit le Grand Esprit.

— Comment ça... parfois ?

Le Grand Esprit hocha la tête. Coyote pensa qu'il ferait mieux de foutre le camp avant que le Grand Esprit ne lui reprenne ce qu'il venait de lui donner.

— Merci G. E., faut que j'me casse. J'ai deux mots à dire à un mec qui porte des lunettes de soleil."

Et Coyote disparut d'un bond.


Voilà. C'est en Série Noire, traduit par Luc Baranger et ça s'appelle Un Blues de coyote.

Ecrit par Loutre, le Samedi 30 Octobre 2004, 14:44 dans la rubrique Journal de bord.