Comment je me suis disputée mon après-midi
Vite, des boules Quiès™, des fibres de lin et de la cire, un cache-oreilles, n'importe quoi pour m'empêcher d'entendre, qu'on me ligote au grand mât et qu'on me fasse oublier. Quelqu'un a-t-il des lotus sous la main ? Un joli lotophage à me présenter alors ? Non plus ? De l'opium de Smyrne peut-être ? Dois-je mâcher des boules de gui ? Me faire une infusion de laurier rose ? Finir la bouteille de rhum ? Hurler, exploser, m'effondrer en sanglots, petit tas déjà pas bien gros réduit à l'état de cendres ? Mes motivations n'étaient certes, pas bien claires, mais j'étais fermement décidée à rester à la maison cet après-midi. La boîte d'aquarelles était déjà ouverte sur la table, les pinceaux prêts à l'emploi. Et il a suffi d'un vague fond de techno mâtiné de pop pour que je m'effondre... Morigènons-nous :
– Hé, Loutre, tu ne vas pas t'effondrer pour ça quand même, c'est fini depuis longtemps !
– Ben oui mais, euh... c'est la première fois depuis une putain d'éternité que je n'y vais pas tu comprends et puis, ça me rappelle tellement...
– Ah ! Je te vois venir ! Et ça te rappelle quoi, au juste ? Comment elle t'a plantée boulevard Saint-Michel pour aller passer la soirée au Pulp avec la connasse ? C'est ça, que tu regrettes ? La soirée seule et la scène sur le pont d'Austerlitz où tu t'es posé LA question ? Loutre, ma pôvre Loutre, si tu retournais à tes enluminures ?
Ouais. Vu comme ça, d'accord. Si j'ai échappé au suicide il y a pile un an, je devrais être capable de passer l'après-midi sans m'écrouler. Allez, zou, j'ai de fascinantes chimères à peindre. L'art contre le souvenir.
Ecrit par Loutre, le Samedi 28 Juin 2003, 15:55 dans la rubrique Journal de bord.